
Le processus participatif de protection du Parc National Yasuní (Équateur)
| Pronunciamientos

Depuis une cinquantaine d’années, l’Équateur extraie de manière agressive le pétrole de sa zone amazonienne, sur des territoires accueillant depuis des millénaires des peuples et nationalités autochtones. Dès que des entreprises transnationales comme Texaco ou Shell ont commencé à opérer dans la zone, elles ont considérablement augmenté leurs bénéfices déjà multimillionnaires, tout en déléguant la responsabilité et les coûts environnementaux à l’État équatorien et aux populations locales. Promis pendant des décennies, le développement et l’éradication de la pauvreté grâce à la rente pétrolière ne sont restés qu’un simple mythe. Non seulement les taux de pauvreté et d’inégalités au niveau national se sont maintenus ou aggravés, mais par ailleurs les populations qui vivent dans ces zones pétrolières sont les plus pauvres du pays.
C’est pour cette raison que le mouvement autochtone et des organisations écologistes ont lancé tout au long de cette période une série de manifestations, de dénonciations, de demandes et de stratégies pour freiner les activités pétrolières en Amazonie équatorienne et pour demander à l’État et aux entreprises transnationales que les droits, la justice et une réparation soient garantis. En 2007, grâce à cette considérable expérience collective, aux réflexions construites au fur et à mesure et aux propositions qui en sont ressorties, l’État équatorien a promu l’Initiative Yasuní-ITT. L’objectif de cette initiative était que la communauté internationale soutienne financièrement l’État équatorien pour que le champ pétrolier « Ishpingo-Tiputini-Tambococha » (ITT), dit bloc 43, situé dans le Nord-Est du Parc National Yasuní, en Amazonie équatorienne, l’un des endroits de la planète le plus riche en biodiversité, ne soit pas exploité. L’initiative mettait aussi au premier plan une discussion sur le modèle de développement du pays et la responsabilité mondiale de préservation de l’Amazonie. Cependant, le 15 août 2013, le Président Rafael Correa lui-même décide de mettre fin à l’initiative Yasuní-ITT, ouvrant alors la voie à l’exploitation pétrolière dans le bloc ITT à l’intérieur du Parc National Yasuní.

A ce moment-là, un groupe de jeunes réunis dans le collectif YASunidos, décide de convoquer l’ensemble des organisations, des espaces, des réseaux et des mouvements impliqués pour constituer un front de défense du Parc National Yasuní et de ses peuples. Leur proposition se centre essentiellement sur la réalisation d’une consultation populaire qui demanderait au peuple équatorien son avis sur l’exploitation des ressources pétrolières du bloc 43. Ce mécanisme de démocratie directe fait partie des droits inclus dans la Constitution de 2008 qui comprend, entre autres, le caractère plurinational de l’État équatorien, les droits de la nature, mais surtout le droit à la participation et la garantie de démocratie participative. A ce titre, la consultation populaire pour le Yasuní, reposant sur la collecte de 757 000 signatures, est devenu la première initiative de démocratie directe lancée par des citoyen·nes dans le pays. Cependant, le Conseil National Électoral (CNE) a annulé arbitrairement plus de 60% des signatures récoltées, malgré de nombreuses plaintes. Le collectif YASunidos a mené une bataille juridique de presque 10 ans contre l’État équatorien pour démontrer l’existence d’une fraude et a continué en parallèle à défendre le Yasuní, à travers toute une série d’actions juridiques et d’actions de mobilisation comme, entre autres, des assemblées délibératives, la création d’autres collectifs au niveau national et international, l’occupation pacifique d’institutions étatiques, des manifestations, des campagnes de communication, ou encore de l’artivisme.
Le collectif ayant gagné plusieurs combats juridiques et l’État équatorien ayant été officiellement reconnu coupable d’atteinte au droit de participation de milliers de citoyens et de citoyennes, le 10 mai 2023, la Cour constitutionnelle de l’Équateur a finalement donné son feu vert à la consultation populaire pour le Yasuní : elle aura lieu le 20 août 2023. La question proposée il y a presque 10 ans par le collectif reste la même et la Cour veille ainsi au respect du droit de participation en donnant la possibilité aux citoyen·nes équatorien·nes, à travers cette consultation, d’exercer un contrôle sur le pouvoir étatique et d’approuver à la majorité la fin des activités extractives qui n’auraient jamais dû être autorisées dans le Yasuní. Cette décision de la Cour pourrait signifier non seulement la fin de la progression de la frontière pétrolière dans la zone la plus riche en biodiversité de la planète, mais aussi la fermeture progressive et coordonnée de tous les puits de pétrole du bloc 43. Ce serait le début de la tant désirée transition écologique !
Sans aucun doute, la réalisation de la consultation populaire et cette décision de la Cour sont un fait historique pour l’Équateur et le monde entier :
- C’est la première initiative de démocratie directe au niveau national approuvée par la Cour constitutionnelle. Elle pourrait avoir des effets contraignants et concrètement mettre fin aux activités extractives.
- Elle ouvre un débat national et international sur l’importance de la participation venant « d’en bas » sur des thématiques aussi importantes que la crise écologique, ou encore le modèle du développement capitaliste hégémonique et ses effets.
- C’est une mesure indispensable pour garantir les droits et la vie des peuples autochtones Taegari-Taromenane, en isolement volontaire ainsi que les droits de la nature reconnus dans la Constitution.
- Elle ouvre des possibilités effectives de réparation, non seulement pour le collectif YASunidos et toutes les personnes qui ont soutenu l’initiative, mais aussi pour tous les peuples et nationalités qui ont vécu de manière directe un véritable pillage et un ethnocide sur ses propres territoires.
- Il s’agit de la première initiative concrète reposant sur la non-exploitation des ressources pétrolières pour mitiger le changement climatique et prenant en compte les peuples et nationalités autochtones pour une véritable transition énergétique sous l’égide d’une écologie décoloniale.
Un soutien national et international urgent de toutes celles et de tous ceux qui considèrent que la défense de la vie, de la forêt amazonienne et du Yasuní comme l’un des territoires les plus riches en biodiversité de la planète, est crucial pour maintenir la vie sur terre, mais aussi pour la démocratisation et la redistribution de la prise de décision et du pouvoir.
#SíalYasuní